École de théâtre @bensavalle

En juin 2017, baluchon à la main, la boule au ventre et pleins d’indécisions, je passe audition sur audition dans plusieurs cours privés parisiens. Au résultat, succès dans chacune, et j’atterris dans mon école souhaitée, le Studio de Formation Théâtrale, petit coin paumé de Vitry-Sur-Seine, une école pas plus grande qu’un appartement, située au rez-de-chaussé d’une cité de banlieue où se fréquente à l’entrée trafic de drogue, canettes de bières vides, et barquettes de kebab poussiéreuses.

Apprendre le théâtre est une notion qui m’a souvent parue nébuleuse. Comment peut-on apprendre à jouer ? Comment peut-on travailler sa présence ou son écoute ? À quel moment peut-on se dire « comédien » ? C’est quoi les outils de l’acteur ? Comment peut-on travailler quelque-chose d’aussi vague qu’un « imaginaire » ? Tout cela me semblait très diffus, presque mystique.

Et une fois dedans, rien ne change. Pas de grandes révélations. Assis sur des chaises à regarder les passages des uns et des autres, à s’observer, se comparer, essayer puis rater, puis essayer encore. Avec cette nouvelle difficulté à parler de son quotidien à ses proches. « Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? Oh bah écoute, je me suis roulé sur le sol, mais enfaîte c’était pas du sol, c’était du magma, et moi je m’enfonçais dedans, et il fallait lutter, lutter, arracher son corps du sol pour atteindre les étoiles. Puis à un moment je suis devenu un petit éléphant qui dansait et qui faisait la marche des éléphants. Après je me suis transformé en gros troll, puis j’ai trouvé des copains écureuils, puis là la foudre est tombée, et tout les écureuils ils sont morts. Et j’ai fait ça pendant 4h. Et toi sinon, ta journée ? »

Pourtant j’ai progressé. Je le sens intérieurement et aujourd’hui mes approches d’un texte sont très différentes. Mais impossible de décrire les chemins parcourus pour atteindre ce résultat. Aucun moment, où j’ai pu me dire : « Ça c’est bon, je maîtrise, je peux passer au palier suivant. » Non, une année dans une école de théâtre, c’est comme une grosse mare dans laquelle tu sautes sans en connaitre la profondeur, et où tu croises d’autres petits poissons avec des grosses valises sur le dos chacun allant dans des directions différentes.

Alors pour éclaircir cet état, et dans un effort aussi de sauvegarde numérique de mes données, j’ai recensé ici toutes mes notes prises au cours de cette année, me concernant ou non, certaines claires d’autres plus intimes, presque private joke. Prises en vrac, je les ai structurées et attribuées à chaque intervenant pour mieux faire apparaître leurs méthodes différentes. La lecture peut être confuse, mais ce format me semble le plus attribué et intéressant pour vous parler de cette année ;)

D’octobre à décembre 2017.

Intervenant : Florian SITBON
Scènes travaillées :
Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été – Acte 3, scène 1
Hanokh Levin, Funérailles d’Hiver – Tableau 2
Beaumarchais, Le mariage de Figaro – Acte 1, Scène 1
Horváth, Légendes de la forêt viennoise – Scène entre Alfred et Marianne après l’ellipse

Cherche le déséquilibre. Cherche la gène. Cherche le moment de balance. Crée et joue la situation. C’est l’histoire qui compte. Précise le sens. Ne joue pas la réplique, va au-delà. Trouve un état. Sors de ta bulle de confort. Sois dérangé. Deviens fou. Désinhibe-toi. Ne sois pas tranquille. Cherche ce que ça fait en toi. La normalité, c’est chiant. Ce qui est évident n’est pas intéressant. Complique, ne simplifie pas.

Travail l’histoire. Trouve ta vérité, ce qui fait sens pour toi. Joue ce qui est proche de toi. Va au-delà du texte. Le sens avant tout. Quel est le rapport entre les personnages ? Parle moins fort. Arrête de forcer ta voix. Retourne la matière du texte. Sous-texte ne veut pas dire paraphrase. Amuse-toi ! Un comédien doit s’amuser, ça fait partie du boulot.  Sois gentil avec le public, il ne comprend pas. Lagarce, c’est une écriture parlée.

Horváth, Légendes de la forêt viennoise – Scène entre Alfred et Marianne après l’ellipse

Toute l’année 2017-2018 avec un cours de 4h par semaine.

Intervenantes : Valentine CATZÉFLIS puis Zoé FAUCONNET
Scènes travaillées :
Corneille, l’Illusion Comique – Acte 3, scène 5
Racine, Bérénice – Acte 4, scène 5
Rostand, Cyrano de Bergerac – Acte 2, scène 6

Y’a pas de ponctuation dans Racine. Le sens prime sur les règles. Respecte la musique des alexandrins. Fuck la ponctuation dans l’alexandrin (Note : Elle n’a pas vraiment dit ça mot pour mot, mais je l’ai transcris ainsi dans mes notes :D ). Fais partager à ton public. Sois à l’écoute du moment. Enjambe dans la pensée.

Prend le temps après le vers. Une idée par vers. La situation est si importante que c’est par choix que les personnages parlent en alexandrin. Les césures à l’hémistiche seulement quand le sens le veut. N’enquille pas les vers. Le jour des concours ne parle à personne. Profite de l’école c’est un laboratoire, tu as le droit de tout essayer.

D’octobre à décembre 2017.

Intervenante : Paola COMIS
Scènes travaillées :
Pommeras, La réunification des deux Corées – Enfants
Falk Richter, Play Loud – Exit Music for a Film

Je m’appelle L.D, et je suis fille de l’indécision. Sois CONCRET. C’est pas le sentiment le plus important. Il faut que ce soit intéressant pour le public.

Janvier à Février 2018.

Intervenante : Nadine DARMON
Scènes travaillées :
Claudel, Le pain dur – Acte 2, Scène 2
Claudel, Le pain dur – Acte 3, Scène 3
Dario Fo, On ne paie pas ! On ne paie pas ! – Scène 2, Giovanni et Antonia

Joue faux, cela ouvre des portes. La nuance c’est l’art du pauvre. Ne sois pas banal. Osez le ridicule au théâtre. C’est quoi ta nécessité d’acteur ? Respire le texte. Tiens la ligne droite, le mouvement de la pensée. Reçois et réagis. Tu dis le texte, parce qu’il y a une nécessité à parler. C’est l’art de faire exprès. Une rupture, c’est un suspens d’écoute. Protase, acmé et apodose.

Sur quoi fonctionne l’enjeu dramatique ? Le désir est en diagonale pas en ligne droite. Le point d’impact est le commencement du mouvement. Soren est gay. Pense la situation. À qui/pourquoi tu t’adresses ? Déconstruit la pièce. « Invente un livre de chevet à ton personnage et tu en sauras plus sur lui ». Ne travestis pas le texte, ne va pas chercher la facilité. L’ennemi du comédien c’est le vague. Pas d’auto-critique !

Claudel Le pain dur école de théâtre benjamin savalle

À droite, c’est Claire. Elle joue Lumîr et je joue Louis. (Acte 2, Scène 2 Le Pain Dur)

Mars à Avril 2018.

Intervenante : Joséphine SOURDEL
Scènes travaillées :
Koltès, Roberto Zucco – Le frère
Koltès, Roberto Zucco – Le métro

C’est le partenaire qui fait du comédien un roi. On n’est pas roi tout seul. Chez Koltès, quand on retire ses chaussures c’est qu’on va dire la vérité. L’amour ne se voit jamais chez Koltès. Laisse toi envahir par le sens des mots. C’est quoi l’objectif de ton personnage ? Laisse respirer l’autre. Laisse-toi surprendre. L’important c’est le théâtre que tu veux faire, pas l’école.

Découvre ton clown intérieur, c’est ta nature de comédien. « Les clowns parlent à dieu, et les dieux sont sourds ». Met un élément de surprise dans tes scènes. Trouve une musique à ton personnage. Chez les pauvres, on ne se plaint pas sur son sort. Le verbe est important chez Koltès. Koltès, c’est du corps, c’est viscéral. Commence au meilleur de la dernière fois. Pose-toi des questions chaque soir.

Mai 2018, toute l’école travaille sur la création d’un spectacle pour la fin du mois. Aucune note ne fut prise.

Juin 2018.

Intervenant : Vincent DEBOST et Sarah TICK
Scènes travaillées :
Ristic, L’histoire de la princesse – L’ouvrage entier

Le cercle de craie.  Vois le texte comme une langue étrangère, va à sa rencontre. L’une des choses que doit cultiver le comédien, c’est la proposition. Au bout du compte, on est toujours nous-même. C’est ta rencontre avec le texte qui te permet de te déplacer. Pour Brecht, Lady Anne est laide. « Il vaut mieux partir d’un cliché que d’y finir. » Hitchcock. Ouvre au spectateur. Assume et assure ce que tu proposes. 

Appuie toi sur les verbes. Sois confiant, prends le temps de t’amuser. Ce n’est que du théâtre, c’est des gamins en train de jouer la Belle au Bois Dormant. Accepte ta fragilité d’acteur. Fais entendre le sens. Visualise ce que tu dis.

Le mardi 26 juin 2018 à 15h15, je passe mon audition de passage en seconde année. Le « jury » est uniquement présidé par Florian, notre directeur d’école. Je présente la scène du métro dans Roberto Succo, et la scène VI de l’acte V de Phèdre, ou Théramène conte la mort d’Hippolyte à son père Thésée (la scène la plus facile du monde, évidemment).

La scène de Zucco est passable dirons-nous, et Florian commente la scène de Phèdre comme un véritable « carnage », notamment sur l’alexandrin. « Mais tu n’entends pas la rythmique de l’alexandrin ? Tu joues d’un instrument ? Ha oui, je fais de la guitare, et je donne même des cours. ET BAH ALORS ! » lance-t-il en riant.

Puis abordant la question de Zucco, il me demande si cette scène me présente à mon avantage. Je lui réponds qu’au vu de mon niveau et de ma culture théâtrale actuelle, c’est cette scène que je choisirais en premier pour une audition. Et là, content comme un gosse d’avoir bien deviné, il s’exclame : « Et bah tu vois, c’est ça le problème ! »  Puis il enchaîne : « Non, mais je te dis ça, mais y’a pas que toi, hein, vous êtes plusieurs dans ce cas, là t’es le dernier, je me suis beaucoup répété aujourd’hui, je te dis ça, parce que je trouve que vous êtes un peu trop scolaire dans cette école, très sympa et bienveillant, enfin je crois, ça va non ? (J’acquiesce) Mais il faut que tu poses la question de savoir si tu es crédible dans cette scène. Je vois le boulot que tu as fait sur le texte, le travail du sens, mais quand tu passes cette scène, je vois Benjamin en train de me faire un petit vieux, et pas autre chose. Alors je dis pas, on peux toujours travailler la voix, le corps, mettre un costume. On peut toujours tricher. Mais si tu dois raconter l’histoire à un enfant, pour lui faire croire tu prendras une voix, une posture, et pas ce que tu m’as proposé là. »

Je lui confie mes doutes concernant mon passage en seconde année, et rassurant il me confie que ce serait une mauvaise idée pour moi de redoubler. Ainsi, après 9 mois dans cette école, un travail sur 15 scènes différentes et deux spectacles, je passe donc en seconde année ! La suite de l’aventure à la rentrée d’octobre 2018 ! :)

2 réponses
  1. Ben
    Ben dit :

    Hey salut Joséphine ! Haha oui, c’est un coup de chance :D Merci pour ton commentaire, content que tu apprécies le ton de cet article ! Bisous !

  2. Sourdel
    Sourdel dit :

    C’est drôle Benjamin! Je tombe par hasard sur ton blog! Il est instructif pour qui a envie de suivre un cours! Généreux de ta part de nous offrir cette expérience.
    Cette année, je suis prof au Conservatoire du 14ème arrondissement. Benoit qui était en deuxième année est dans ma classe. Je garde un beau souvenir de ces semaines passées en votre compagnie. Je revois certaines scènes et je les trouve toujours belles. Merci. Je t’embrasse. Joe

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