Tout petit déjà, j’éprouvais une certaine fascination pour les personnes en caisse dans les hypermarchés. De mon regard d’enfant, je trouvais cela infiniment cool de pouvoir être assis toute la journée, à jouer avec de l’argent, dire bonjour, sourire aux gens et être dans son petit espace sécurisant. Avec le temps, cette idée a évolué avec la volonté d’essayer un maximum de boulots dit « difficile ». Que ce soit hôte de caisse, employé polyvalent, vendeur, opérateur téléphonique, employé de restauration rapide… ces jobs ont tous la particularité d’avoir mauvaise réputation. Et pour de bonnes raisons.
Directement à la fin de mes études de commerce, et épris du besoin de financer mes études de théâtre, j’entrepris de démarcher et déposer CV – Lettre de motivation dans tous les supermarchés du coin, centre d’appels et fast-food. Aucun ne pris la peine de répondre à mes candidatures, et c’est ainsi que sans grande ambition, je finissais par devenir mandataire immobilier.
Toutefois, onze mois après ma candidature au Monoprix de mon quartier, et tandis que je me trouvais dans le sud de la France à encadrer et animer des adultes mentalement déficients, je reçus un appel de la responsable caisse me conviant à un entretien d’embauche dès la rentrée. Ni une, ni deux, et surpris par leur temps de réaction (tout de même rappeler une candidature pratiquement 1 an après, il faut le faire), j’acceptais tout excité à l’idée de pouvoir enfin quitter une situation légèrement précaire.
Après un bref entretien, où j’explique avec tout énergie et volonté que j’ai désespérément besoin de travailler [et surtout d’argent], je subis une courte période d’essai (deux heures), et une semaine après, j’étais en caisse, habillé de mon beau tee-shirt noir à virgule rouge, et de mon badge fraîchement imprimé.
J’ai eu de la veine, le premier contrat qui me fut attribué représentait 33h/semaine pour une durée d’un mois. Les premiers jours ne furent guère glorieux, j’ai dû appeler un nombre conséquent de fois l’accueil, pour des problèmes de caisse, des erreurs de code, et des soucis au niveau des paiements.
À noter qu’au tout début, je passais les fruits et légumes à la pièce gratuitement (le meilleur caissier du monde :D ) car je n’avais pas encore compris comment valider les codes sur la caisse. J’ai dû je présume, faire le bonheur de quelques clients (à votre service m’sieur, dames !). Il m’est même arrivé au cours du premier mois, d’avoir sorti mon téléphone portable en caisse pour appeler un client qui avait oublié son portefeuille et dont le numéro de téléphone était à l’intérieur. Une habitude qui restait des heures de prospection que j’avais faites, et qui mis face à l’hilarité de mes collèges, et l’incrédulité de ma chef de caisse.

Un jour j’ai oublié de rendre 50€ à un client. Le mec est revenu 30 min après. Branle-bas combat, obligé de fermer la caisse malgré la file et de tout recompter pour s’assurer de l’erreur. Je dois saluer la personne qui est restée super cool malgré l’événement :D
Les mois passants et avec une accumulation de petit contrats (en moyenne des CDD de deux semaines, 24h, et pas plus de trois contrats par mois), j’acquérais une certaine aisance. Fini les clients quittant ma file, soupirant et haussant leur sourcil gauche pour s’envoyer en l’air à la caisse en face, où ma collègue, elle, arrivait à faire ses vingt articles/minute ; là où moi j’atteignais péniblement les quinze.
Ça y est je maîtrisais enfin une bonne partie des quelques 300 codes des fruits et légumes ! Bananes – 8051, Pdt consommation – 8685, Poireaux – 8285… Je ne mettais plus un quart d’heure à compter ma caisse en fin de journée et toutes les « techniques avancées » d’une gestion de caisse (comme appuyer sur la touche total pour réinitialiser le compteur d’articles à la minute) n’avaient plus de secrets pour moi. Je gérais l’encaissement des chèques et des tickets restau comme un petit chef !
Étant également le seul homme caissier dans toute une équipe féminine, et le plus jeune de surcroît, j’ai rapidement attiré l’attention de mes collègues. Après avoir discuté avec plusieurs d’entre elles, leur parcours respectifs étaient assez hétérogènes. Anciennement comptable, fleuriste, ou même traductrice (et ma chef de caisse était auparavant graphiste), toutes s’accordent sur un point : « C’est un métier tranquille et sécurisant ». Sous l’idée qu’« une fois rentré, on y reste », la moyenne d’ancienneté des caissières tourne autour de la vingtaine. Fait qui m’a également beaucoup étonné au début, nombre de mes collègues ne comprenaient pas pourquoi moi j’étais ici, simple caissier, alors que « toi, tu as fait des études, tu ne devrais pas être là ». Pour tout vous dire, du haut de mon Bac +2, j’étais déjà bien content d’avoir la chance de travailler et de commencer à gagner ma vie.

Aussi faire ses courses là où tu bosses, c’est très pratique. En CDD, je n’avais pas le droit d’avoir la carte du personnel qui offrait des réductions, mais mes collègues en CDI n’hésitaient pas à la passer pour me laisser profiter des avantages :D
C’est un métier plus diversifié qu’il n’y parait au premier abord. L’employé veille à la propreté de son environnement (la bouteille de Jack Daniel éclatée sur le sol par un client maladroit, c’est pour Bibi), il doit faire attention à sa tenue de caisse ; par exemple on est rapidement à court de pièces d’un centime (bénis soit les clients qui font l’effort de donner la monnaie). Et l’on s’occupe aussi de ranger les paniers, ou les articles laissés à l’abandon sur le tapis et les devantures des caisses.
Enfin le point majeur de ce métier se concentre dans ce rapport particulier entretenu avec la clientèle (d’ailleurs, j’en ai fait un autre article, si tu souhaites le lire ! :) ) Si effectivement, certains clients sont repoussants et mettent très rapidement mal à l’aise (comme cette dame qui a refusé de prendre ses centimes sous prétexte que c’était de « l’argent pour les pauvres »), (où cette vieille dame, un jour avec son manteau blanc taché de poussière et de sang séché), c’est surtout la lassitude et la fatigue qui pèse. À coup de bonjour, merci, au revoir toute la journée, de mouvements saccadés et répétés, du froid et du bruit de la galerie marchande, d’une chaise inconfortable, et un droit de 15 minutes de pause pour 6h20 de boulot, c’est le cadre où tu évolues, et où chacun peut se faire juge immédiat de ton travail qui est avilissant.
À la différence de mes collègues, j’en venais à apprécier le moment où j’étais seul en caisse, et où aucun client ne se présentait à moi. C’était une grâce d’être au calme quelques instants.

Et quelques fois on craque.
Pour autant, travailler dans un supermarché permet de connaitre tout son quartier. J’ai pu rencontrer et parler avec des gens, avec qui je n’aurais jamais eu l’opportunité de dire un mot autre part. J’ai par ailleurs pu nouer quelques relations sympathiques avec certaines ! L’une d’entre elles m’a même soutenu pour une audition. Preuve que l’on peut faire son réseau n’importe où ! ;)
Ce fut également une époque où je cumulais plusieurs petits boulots. Entre animateur périscolaire à l’aube, community manager le matin, caissier l’après-midi, et prof de guitare le soir, ce furent des journées bien remplies. Ce qui amène quelquefois a certaines rencontres accidentelles. Comme ses anciens collaborateurs, ou ces messieurs bien habillés à qui l’on a serré la main hier en discutant des dernières innovations techniques, et que l’on recroise le lendemain matin, oranges et oignons à la main, prêt pour la pesée.
Car cette profession amène le jugement facile. Celui où les gens jugent le statut avant la personne. Ce n’est guère l’imaginaire de la réussite qui entoure l’activité d’un hôte de caisse. C’est un métier qui force l’humilité. Peu importe qui vous étiez, sous le costume de l’entreprise votre personnalité cesse et l’unique droit qui lui est accordé c’est le droit au silence.
J’ai passé un an entier à cumuler de petits CDD, à vivre les temps forts de Noël ou des soldes, à être promené entre les services de livraison, la mise en rayon et la gestion des caisses. Aujourd’hui, je ne retire guère de choses de ce métier. Noyé dans la masse, clients après l’autre, les jours sont mécaniques, uniquement brisé par les sourires ou l’humeur de certaines rencontres et collègues.
Il n’y a guère de fin nette à cette période. Je travaillais à côté à la création de mon entreprise et ma chef de caisse au courant de mes ambitions entendit le moment où décidément, il était temps pour moi de consacrer mon temps à des activités plus lucratives.
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