Nous sommes en 2014. Nouvellement diplômé Bac +2 en techniques de commercialisation, et encore rempli d’innocence naïve, et de très peu d’expérience terrain, j’entre à grand pas dès septembre dans ce fameux marché du travail dont l’on m’avait tant parlé pendant mes études. Marché qui n’a que cure de ma « force de travail », et qui me le fais comprendre assez rapidement. Ainsi, après plusieurs mois de recherches infructueuses, je me retrouve dans la nécessité de retourner au seul endroit où l’on voudrait bien de moi. L’agence immobilière, où j’ai effectué, six de mois de cela, mon stage de fin d’année.
Le directeur m’accueille, enjoué de me revoir, le stage s’étant très bien passé. Confiant et certain que je serais en mesure de « fournir du bon boulot », il m’accorde le contrat.
La convention commerciale entre mes mains, et après quelques jours de réflexion et de procédure administrative, ça y est, me voilà du haut de mes 21 ans, dans mon beau costume blanc et noir, mandataire immobilier pour le compte d’une agence locale.
Je suis désormais indépendant et fier de l’être. Fini le statut d’étudiant, à moi les responsabilités et les pleins pouvoirs de négociant. Mes conditions de rémunération sont claires : Je ne suis payé qu’à la commission. Pas de ventes, pas de rentrée d’argent. L’agence prenant 30%, il me reste 70% brut dans la poche.
Je n’avais aucun à priori du métier. Vivant toujours chez mes parents, je n’avais jamais recherché d’appartement. L’achat, la vente d’un bien immobilier ne m’intéressaient pas. A dire vrai, la seule chose que je connaissais de ce métier, c’est Stéphane Plaza qui me l’avait appris.

« Tu viens de faire un bon deal l’ami ! Ce champ de pâquerette il vaut de l’or, c’est moi qui te le dit ! »
Je n’ai reçu qu’une brève formation de la part de l’agence. Quelques discussions où l’on m’apprend que c’est un « métier de volume » : « rentre autant de biens que tu peux, et tu finiras bien par en vendre un ». Ces éléments en main, et avec mon nouveau forfait téléphonique prévu pour la prospection, j’applique consciemment la stratégie commerciale de l’agence.
Stratégie qui peut se résumer en deux phrases : « Tu prends le bon coin, tu vas dans l’onglet Immobilier-Vente-Particulier, tu vas chercher les dernières pages, et tu appelles toutes les annonces à la chaîne. Tu prends un rendez-vous, tu fais des photos, et tu crées l’annonce. »
Ce n’était pas très dur de conclure des mandats de vente, les propriétaires acceptant bien souvent l’idée d’un professionnel travaillant gratuitement pour eux, tandis qu’ils gardaient leur liberté de continuer de vendre entre particuliers à particulier, ou de mettre une autre agence sur le bien. Ce qui amène à cette situation paradoxale, où votre client devient votre principal concurrent.
L’agence ne vendait pas d’exclusivité. Implantée récemment sur Le Havre, et avec une petite équipe (un directeur, une gestionnaire, deux commerciaux – dont l’un d’entre n’avait vendu qu’un seul bien au cours de l’année dernière-), elle se débrouillerait avec son stock de biens en gestion, qu’elle avait récupéré lors d’un ancien échange avec une autre agence.
Hormis un logiciel de CRM, l’agence n’avait que très peu d’outils de communication et aucun contenu. Ce qui se reflétait comme une faiblesse contribuait aussi à une partie de sa force ; l’organisation étant de ce fait très « libre et souple ». Le directeur avait de plus, un certain sens éthique estimant son agence « honnête et responsable » contrairement à tous les autres « branquignols » de l’immobilier.
Au cours des trois premiers mois de mon activité, j’ai enregistré une dizaine de biens immobiliers. Toutefois, et à l’époque inconscient, la plupart étaient invendables, trop cher, mal placés ou avec une mauvaise rentabilité. Je ne finis par n’en vendre aucun.
Pourtant, ce ne sont pas les visites ou les appels qui ont manqués. Lassé, je comprends de moins en moins mon rôle, dans ce secteur où le particulier à particulier se développe davantage, et je m’épuise de tout ce temps investis en vain.
Certaines affaires que je suivais depuis plusieurs mois, et dans lesquelles j’ai investis un nombre incalculable d’heures, me filent entre les doigts. Comme par exemple, cette maison sur les hauteurs de la ville, pour laquelle j’avais organisé une trentaine de rendez-vous, et dont au final, la propriétaire (dont l’ex-mari était agent immobilier) finira par la vendre seule, de son côté. J’ai toutefois reçu un sms de sa part, me remerciant de « tous les efforts consentis à la vente de sa maison ».
Je finis par dépenser mon temps, plus que je ne l’investissais. Avec des visites inutiles, des retours auprès des propriétaires pour leur dire que leur prix est trop cher, et qu’il est normal qu’ils n’aient aucunes propositions, les appels pour des visites à 20h du soir, et mon responsable qui continue de me dire que « c’est un beau métier », qu’il faut prospecter, prospecter et prospecter, que l’on peut « très bien gagner sa vie », et qu’il faut comprendre la « psychologie du propriétaire ».
Pourtant, plus le temps passe et plus mon incompétence me frappe à la gueule. Mauvaise gestion de mon emploi de temps, aucune connaissance juridique ou du bâtiment, des rendez-vous mal qualifiés, l’incapacité de répondre précisément aux questions clients, et l’impression de n’être qu’un guide touristique…
J’en viens à ne plus comprendre ce que je vends, ni à comprendre la légitimité de ce métier. Et à l’opposé, je continue de me dire, dans l’hypothétique cas où je serais propriétaire, que je ne vendrais mon bien qu’entre particulier sans passer par une agence. (normal)
Alors, je fais bien pâle figure, dans ce costume blanc et noir sur mon vélo en face de ces propriétaires ou acquéreur, aux beaux sourires condescendants. Dépassé, j’arrête la prospection des ventes immobilières, et je me recentre sur ce qui avait cartonné durant mon stage : la location et gestion immobilière.
Nous sommes alors fin mars, et j’ai dans mon portefeuille de biens, une maison, un immeuble, et huit appartements.
Sans le même enthousiasme, ni l’ardeur des débuts, je reprends mon téléphone entamant de nouvelles séries de prospection. Entre temps, j’apprends que tous les biens prospectés durant mon stage ont été repris par la gestionnaire et ne m’appartiennent plus. Après avoir essayé d’en récupérer un, et d’avoir été en concurrence absurde avec l’unique personne qui gère l’administration de l’agence (et tout le processus de gestion locative des biens), je me retrouve de nouveau seul devant ce bureau, toujours dans mon costume blanc et noir, que décidément je portais avec plus de fierté durant mes études. Je continue de prospecter sans véritable trame ou segmentation et ciblage d’un marché.
Tandis que mes annonces de ventes croupissent dans leur coin, et que je rentre « parce qu’il faut faire du volume » tout type de bien en location, j’ai de plus en plus de mal avec le régime de l’indépendant. Avec ma rigueur d’ado, et la même motivation qu’un félin durant sa sieste au soleil, je ne garde pas un rythme de travail très soutenu.
Devant mon manque de résultat flagrant que je n’arrive pas, et que personne ne m’aide à comprendre,
je décide de m’investir davantage dans cette entreprise, qui ne m’avait rien demandé, mais en qui, plein de bonnes volontés, je souhaitais faire prospérer ; convaincu « qu’en travaillant d’abord pour l’entreprise, on travaille aussi pour soi. »
Je me mets alors à travailler une partie de leur communication, et conçois pour eux une stratégie de communication social-média, avec conseils et exemples en création de contenu. J’établis un plan d’action, et après validation du responsable, je créé pour eux une page Facebook, réalise un sondage auprès d’une centaine de personnes, et rapporte du trafic sur leur site web (en un jour, l’agence a vu son taux de visite passer de la vingtaine à plus de 500 personnes).
Fier de mon succès, et des premiers résultats encourageants, tout en sachant que selon les dires du directeur d’agence, « le trafic à une valeur monétaire », je viens, naïf que je suis, clamer mon dût.
Or, il s’avère que tous ces outils web et print conçus, bien que satisfaisant, ne fassent pas partie des accords de ma convention. Indépendant que je suis, je me retrouve bien déçu. J’essaye alors de négocier, en vertu des efforts fournis, des parts plus larges sur ma commission. Peine perdue, je n’obtiens rien de concret.
En attendant, vu le temps investis dans la communication de l’agence, je n’avais pas trouvé le temps de prospecter. D’ailleurs l’envie n’était plus au rendez-vous. Je me fatiguais entre discussion incessantes avec mon mandant, mon incompréhension du métier, fatigué des clients, fatigué de mes moyens de déplacements (je n’avais pas le permis), et surtout fatigué de travailler, travailler et d’encore travailler sans aucune compensation financière. Et pourtant, c’était bien le contrat que j’avais signé.
Et il n’y avait pas de petits caractères. Je ne pouvais ne m’en prendre qu’à moi-même.
La relation se détériorant lentement mais sûrement avec l’agence, j’arrêtais la prospection et ne réalisais plus qu’un suivi léger de mes affaires les plus importantes. J’ai finalement réussi à louer une petite maison à une fille qui revenait sur le Havre pour ses études, et qui s’ouvrit les veines dans sa cuisine fraîchement rénovée, une semaine après. Mais j’étais déjà parti de l’agence.
Nous sommes au mois de juin, et j’ai finalement réussi à vendre quelque chose. En six mois, j’ai gagné 300 €. La meilleure affaire de ma vie ! Et suite aux pressions du directeur pour que je lui remette mon portefeuille de biens, je finis par craquer et propose mes offres de ventes et de locations à mes collègues. Et là, coup de grâce. Aucuns d’entre eux ne les désirent. Elles ne sont pas intéressantes, certainement jugées invendables. Argument qui m’avait été vendu à la signature de la convention, il s’avérera ainsi, que non, une fois partis, personne ne prendra la gestion de mes biens pour assurer la continuité du mandat avec le client. Acte qui aurait permis, moyennant une marge moindre, de garder l’opportunité de toucher une commission sur leurs ventes ou mises en location.
Nostalgique, je retourne de temps en temps sur leur site. Leur logo a changé, et ils ont rouvert une page Facebook. Par dépit, j’avais supprimé l’ancienne. J’hésite à les contacter, voir s’ils ont besoin d’un community manager pour gérer leur « nouvelle » stratégie Social-Média.
Cela fait 4 ans que je suis mandataire indépendant, et je confirme que l on gagne pas notre vie des les premières années, et pour ce qui est de mon cas, 30 ans de commerce derrière moi, donc je sais de quoi je parle; L’immobilier est attaqué de toute part avec une concurrence de grande dimension, les grosses enseigne qui font venir des jeunes sur le terrain, qui ratisse des secteurs, qui font du travail de mauvaise qualité du à leur manque d expérience et qui nui a notre métier, ce qui ne facilite pas le job au quotidien . Dernière chose ! c’est pas en regardant PLAZZA à la télé que l on apprend ce métier .(émission entièrement fabrique pour le grand publique)
Bonjour ! Merci pour votre bienveillant commentaire. Heureux d’apprendre que cet article vous a plu :)
Bonjour, Je viens de lire votre article et là je dois vous avouer que c’est un moment irrésistible où avec ma femme nous avons rie du début à la fin tellement c’est bien écrit mais surtout criant de vérité. Vous avez décrit votre expérience avec beaucoup de dérision. Mais c’est tellement vrai. Cdt Hottot Yves Agent Immobilier depuis 1987
Hello ! Alors « ne pas prendre mon cas pour une généralité » nous sommes entièrement d’accord. Le ton de l’article n’a rien d’objectif, je décris uniquement mon expérience. Alors non, ce n’est pas « un métier sans avenir », mais ce n’est pas mon métier effectivement ;)
Si je comprends bien, c’est un métier sans avenir?
Je suis agent immobilier depuis 17 ans et j’en vie très bien.
Je vends des biens immobilier car je sais le faire et que je suis passionné par ce métier.
J’ai appris à être meilleur avec le temps et beaucoup de persévérance.
J’adore la bouffe!! Mais c’est pas pour autant que je suis un super cuisinier.
Donc, je pense qu’il ne faut pas prendre ton cas pour une généralité et dégoûté les passionnés par ton «incompatibilité » pour ne pas dire incompétence.
Mais ton blog est utile et ça je ne le cache pas… d’ailleurs tout les pro comme moi t’en remercie !!
Effectivement Ce métier n’est pas réservé aux amateurs.
Bien à toi
Santo